Où en est-on de la mondialisation du marché de l’art ?
Où en est-on de la mondialisation du marché de l’art ? Le 22 juillet 2014 |
Le 22 juillet 2014
Le marché de l’art est mondialisé. C’est un fait, des foires sont organisées à travers le monde, des enchérisseurs des quatre coins du monde se pressent dans les salles de ventes new-yorkaises et londoniennes, les entreprises de transport d’œuvres international comptent parmi les acteurs du marché de l’art les plus profitables. Cette appellation de « Global Art Market » est d’ailleurs si bien inscrite dans l’esprit des amateurs ou commentateurs, qu’elle est sans cesse utilisée. La Chine évidemment, mais également l’Amérique Latine et le Moyen-Orient font désormais partie des acteurs majeurs du marché, et ces pays comptent aujourd’hui de nombreux fortunés qui investissent dans l’art. Mais la parution récente du Top 200 des collectionneurs les plus « actifs » au niveau mondial, réalisé par le magazine Art News, met en lumière une réalité qui apparaît plus contrastée. Pour réaliser cette liste, Art News envoie un questionnaire à de nombreux spécialistes ou observateurs privilégiés du marché, permettant de repérer les plus importants acheteurs de l’année écoulée. Les équipes du magazine et les correspondants internationaux participent également à la réalisation de ce Top 200, aidés par les résultats de ventes publiques et privées. Dans cette nouvelle liste, côté entrants – au nombre de 33 –, tandis que certains font leur retour, d’autres sont cités pour la première fois. Parmi ceux-là, le financier français Edouard Carmignac, dont la collection bénéficiera bientôt d’un nouvel écrin, qui sera ouvert en 2015 sur l’île de Porquerolles au sud de la France, l’héritière américaine de Soup Campbell, bien connue des amateurs d’art, Charlotte Colket Weber, ou encore l’allemand Jochen Zeitz, anciennement à la tête de Puma, aujourd’hui Administrateur et Président du Comité pour le Développement Durable du groupe Kering (spécialisé dans le luxe et fondé par François Pinault, ce dernier figurant parmi les plus importants collectionneurs au monde). Jochen Zeitz ouvrira par ailleurs en 2017 un musée abritant sa collection au Cap en Afrique du Sud, le Zeitz Museum of Contemporary Art Africa (Zeitz MoCAA). Les collectionneurs sont toujours plus nombreux en Occident Si l’on se fie aux noms compilés par le magazine américain, 88,8 % des plus importants collectionneurs résident en Europe et en Amérique du Nord, dont un tiers à New York ! Dans ce marché de l’art mondialisé où les acheteurs sont aussi bien Brésiliens, Chinois que Russes, plus de 100 des 200 plus importants collectionneurs du monde vivent donc aux États-Unis. Bien que ce chiffre masque évidemment de nombreux non-occidentaux expatriés aux États-Unis, il est éloigné de l’idée courante qui voudrait que les collectionneurs les plus importants soient aujourd’hui véritablement dispersés à travers le monde. L’Europe, quant à elle, regroupe 30 % de ces passionnés. L’Allemagne, qui profite depuis plusieurs années de sa bonne santé économique, accueille 19 % des collectionneurs européens de la liste, au même niveau que le Royaume-Uni, tandis que la Suisse arrive en troisième position avec 18 %, devançant la France (14 %), pour laquelle 8 collectionneurs figurent dans la liste. Lorsque l’on souhaite porter un regard dynamique sur ces positions, il apparaît que l’évolution de cette liste sur un an montre tout de même une légère croissance du poids des collectionneurs non-occidentaux. En effet, parmi les 33 entrants de la liste cette année, en considérant l’origine des collectionneurs, Kemal Has Cingillioglu (un collectionneur turc installé à Londres), Isabel et Agustín Coppel (Mexique), Tiqui Atencio Demirdjian (Vénézuélien vivant à Londres), Thomas Lau (Hong Kong), Jho Low (Hong Kong), Joseph Safra (Brésil), Susana et Ricardo Steinbruch (Brésil), Wang Jianlin (Beiijing), et Jochen Zeitz (Cap Town) ne sont ni européens ni américains, et représentent 27 % des nouveaux collectionneurs. Les collectionneurs chinois encore peu présents Ce qui ressort finalement de cette liste est la faible part de collectionneurs Chinois. Alors que la demande locale apparaît en constante croissance, que les artistes chinois sont très demandés et que plusieurs d’entre eux réalisent des enchères millionnaires, comment explique-t-on leur faible représentation, tandis que la maison de ventes Sotheby’s déclare même réaliser 20 % de son chiffre d’affaires en Chine. En effet, Art News ne place que 7,5 % de collectionneurs résidant en Asie dans sa liste. Si l’on s’intéresse aux collectionneurs chinois, ceux cités sont Yang Bin, Richard Chang, Qiao Zhibing, Thomas Shao, Wang Jianlin, Wang Wei et Liu Yiqian, auxquels l’on peut ajouter Budi Tek, le célèbre entrepreneur indonésien – roi du poulet – qui a ouvert un musée privé de 12.000 m² à Shanghai, et est donc très actif sur le marché chinois. Malgré les biais que peut comporter cette liste, d’une part, du fait de sa méthodologie, qui bien qu’apportant nombre de renseignements, ne peut être parfaite, et n’est qu’une image de l’activité des collectionneurs sur une année, (durant laquelle l’activité d’un collectionneur a pu être fortement majorée du fait d’une acquisition particulière ou au contraire minorée, du fait d’une pause) celle-ci nous permet de tirer certains enseignements. Si l’on se fie à ce Top 200, en nombre, les collectionneurs asiatiques sont encore loin des Américains et des Européens, même si certains ont, à cause de leur appétit, obtenu une couverture médiatique importante. L’art n’est pas une passion innée, l’enrichissement d’une élite d’un pays ne conduit pas – immédiatement et nécessairement – au développement d’un vaste réseau de collectionneurs très actif. Au sommet des collectionneurs, si le focus est porté sur les plus importants et dont les capacités financières sont les plus importantes, les Chinois, Brésiliens, Russes ou Moyen-Orientaux rivalisent avec les Américains et Européens. Mais cette liste publiée par Art News permet de mesurer, qu’en prenant une – très légère – distance, la présence de collectionneurs très investis n’est pas encore si importante dans ces pays-là, en comparaison avec la situation occidentale. L’enrichissement d’une partie de la population ne suffit pas immédiatement à créer une génération de grands collectionneurs, quand bien même l’art apparaît pour certains comme un pur investissement. La fulgurante croissance du marché de l’art en Chine – avec l’impressionnant nombre de musées privés ouverts ces dernières années et l’appétit des chinois pour la collection – n’en est qu’à ses prémisses. Bien que les collectionneurs chinois ne soient pas moins friands que les occidentaux de l’excitation qui s’empare de tous les acheteurs dans les allées d’une foire ou dans une salle de ventes aux enchères, le nombre de collectionneurs majeurs n’est pas encore si important. Ces chiffres laissent donc penser que le potentiel de croissance du nombre de collectionneurs non-occidentaux est énorme, d’autant plus que l’âge moyen des milliardaires chinois n’est que d’à peine 40 ans ! Reste à savoir qui en profitera…. Des achats par ailleurs toujours locaux Tout comme dans l’économie en général, où la mondialisation est un fait, une étude plus rapprochée des chiffres nuance cette vision d’une économie où le lieu de production n’a que peu d’impact sur le lieu de cession. Dans un article publié en avril dernier par le site Internet de The Art Newspaper, la journaliste Melanie Gerlis pose la question du mythe du marché mondialisé. En effet, bien que les œuvres voyagent à travers le monde, à la recherche de l’offreur le plus généreux, nombre d’artistes n’ont de marché que presque exclusivement dans leur pays d’origine, et ceci est vrai pour certains des artistes les plus importants. Ce constat est très marqué pour les artistes chinois, dont le marché est souvent pour 90 % national. C’est le cas pour les artistes chinois les plus cotés, que sont Qi Baishi, Xu Beihong ou encore Zhang Daqian. Mais ceci se vérifie également pour bon nombre d’artistes occidentaux, comme le soulignait l’écrivain et universitaire Olav Velthuis lors d’une conférence au Courtauld Institute au printemps dernier, choisissant de qualifier cette mondialisation du marché de l’art de « mythe », en s’appuyant sur les résultats de ventes du très coté artiste américain Edward Hopper. En effet, parmi les plus de 400 œuvres de l’artiste vendues aux enchères, seules quatre l’ont été en dehors des Etats-Unis. Et Hopper n’est pas un cas isolé. Ce constat d’une mondialisation qui n’en serait qu’à ses débuts ne peut que rendre optimistes les acteurs du marché de l’art. La conclusion à tirer de ce Top 200 des plus importants collectionneurs est que le potentiel des économies émergentes est encore énorme, tandis que les marchés originels ne perdent pas de leur force. Art Media Agency |
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